La pollution lumineuse

VÉRITABLE « TAPAGE » NOCTURNE ANTHROPIQUE

De nombreux astronomes se plaignent des fameux « ciels blancs », qui, au fil du temps, se vident de leurs étoiles. Mais outre cette gêne exprimée par les amoureux de la voûte céleste, ce phénomène s’avère être une nuisance à bien plus grande échelle. En plus d’être la source d’une surconsommation énergétique, elle entraîne des conséquences désastreuses sur la biomasse, ainsi qu’une potentielle détérioration de notre qualité de vie en tant que citoyen. En effet, sa présence gênante et excessive porte directement atteinte à notre environnement ainsi qu’à notre santé...

UNE MENACE POUR LE VIVANT

Il peut paraître difficile de s’imaginer comment une simple lumière puisse constituer un polluant en soi ?

Rappelons l’étymologie du mot pollution ; qui nous parvient du latin pollutio, signifiant salissure, souillure. La notion de « pollution lumineuse », évoquée par les naturalistes dès le XIXe siècle, induit donc l’idée d’une dégradation et d’altération de l’environnement nocturne.

La nuit est la période ou l’intensité de la lumière solaire diffusée par les hautes couches de l’atmosphère est inférieure à la luminosité des étoiles. Cependant, 97 % des Américains, 96 % des européens et, de façon plus globale, 50 % de la population mondiale, affirment que « la nuit n’est jamais vraiment noire ». Il est alors fortement envisageable que notre « tapage nocturne lumineux » anthropique pourrait avoir des conséquences désastreuses pour des espèces évoluant dans l’espace
de temps durant lequel le soleil est sous l’horizon.
On estime approximativement que 28 % des vertébrés et 64 % des invertébrés vivent partiellement ou exclusivement la nuit, et que les invertébrés représentent 90 % de la diversité des espèces sur Terre. On comprend donc que c’est en fait la majorité du vivant qui est nocturne en tout ou partie.
De fait, l’impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité n’est pas négligeable…

Dans un premier temps, intéressons-nous à « la partie de la vie qu’on ne voit pas », mais jouant pourtant un rôle essentiel sur la biodiversité : les insectes. 80% des espèces de ces derniers sont nocturnes. Même si la pollution lumineuse est à remettre dans un contexte global de pollution (hélas) généralisée (combinée à la perte d’habitat, le recours aux pesticides et aux engrais de synthèse, l’agriculture intensive, les espèces envahissantes et le changement climatique), elle constitue malgré tout la seconde cause de mortalité (selon les espèces) après les pesticides.
Les causes de cette hécatombe sont nombreuses. D’abord, les insectes volants, pour se diriger la nuit, utilisent une technique particulière, visant à fixer un astre et à se déplacer en gardant un angle constant par rapport à lui. Ceci explique donc pourquoi on les observe souvent tourner inlassablement autour de nos ampoules jusqu’à épuisement. Mais d’autres aspects de leurs vies se voient bouleversés par cette pollution lumineuse. Certaines espèces qui disposent de « signaux d’accouplement » repérables uniquement durant la nuit totale, tels que les lucioles, où dans nos régions, les vers luisants, ne parviennent plus à se repérer et à se retrouver. Enfin, la lumière artificielle entraîne également le fait d’être vulnérables face à leurs prédateurs (rats ou grenouilles), et altère leur recherche de nourriture.

Mais les insectes ne sont pas les seuls à être directement touchés par cette nuisance. Les mammifères également se voient affectés par le phénomène. Obligés de fuir les zones éclairées pour se protéger des prédateurs, on constate un morcellement de leur habitat.
Aussi, l’éclairage artificiel provoque une altération de la sécrétion de la mélatonine, l’ « hormone du sommeil », qui régule notre cycle de sommeil et de veille. Mais dans le cas de nombreuses espèces, elle gère également une myriade d’autres choses, entraînant donc outre des troubles de l’endormissement ; des perturbations vitales sur la mue, l’alimentation, la reproduction et l’hibernation.

Les oiseaux, surtout les espèces de migrateurs, se voient lourdement impactés par les grandes agglomérations, les routes et certains ouvrages fortement illuminés. Cela perturbe d’une part leur sens de l’orientation, engendrant une modification de leur trajectoire. Les tournoiements et désorientations générés par ces contraintes participent à épuiser leurs organismes, qui ont pourtant besoin d’une source d’énergie considérable pour traverser la Méditerranée ou le Sahara. Cet éclairage public intensif occasionne d’une part de nombreuses collisions aviaires (rien qu’aux
États-Unis, les scientifiques estiment que 100 millions d’oiseaux en migration sont tués chaque année lors de collisions avec des bâtiments éclairés, selon la International Dark-sky Association), d’autre part, il les expose à la sur-prédation, les rendant plus visibles et, de fait, plus repérables. Les reptiles également sont concernés par cette nuisance. Les tortues par exemple, nées sur les plages, qui pour regagner la mer, se dirigent vers l’horizon le plus lumineux, générée par la blancheur de l’écume des vagues associée à la réverbération de la Lune ou du ciel sur l’eau. En présence de l’éclairage anthropique, elles sont attirées par la lumière des immeubles côtiers, et la plupart d’entre elles dépérissent...

Enfin, les plantes elles aussi se voient affectée par cette pollution. La perturbation de la photosynthèse liée à l’éclairage artificiel (qui émet des radiations UV, surtout dans le cas des LEDs ou des néons) entraîne un déséquilibre dans les dates de végétation et de floraison. De fait, on peut observer une régression du nombre de plantes fécondées par pollinisation, et l’épuisement de certains arbres caduques qui alors ne perdent plus leurs feuilles en hiver.

Ainsi, le bilan écologique de cette pollution, bien qu’à replacer dans un contexte plus global, n’en reste pas moins alarmant... Et ses conséquences sur le vivant sont loin d’être anecdotiques.

Mais ses coup portés ne s’arrêtent pas à la biomasse. Elle est aussi la source d’une surconsommation énergétique, qui pourrait-on dire, « nous coûte cher » sur plusieurs plans...

UNE SURCONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE

Il est intéressant de relever que la part de l’éclairage publique est d’environ 40% sur les dépenses énergétiques d’une ville. Dans le cas de la métropole de Montpellier par exemple, cela représente 4,6 M€ par an.

Or en 2019, 0,9M€ sont consacrés aux développements des lanternes LED pour un éclairage public plus économe en énergie. Voyons comment nuancer cette (a priori) bonne résolution.

Plusieurs modes d’éclairages sont à notre disposition. Prenons d’abord les néons. En plus d’être très énergivores, ils ne sont pas durables, et produisent des UV (dont les effets néfastes, notamment sur les insectes et les plantes, ont déjà été exposés en première partie).

Dans les années 1980, arrivent les ampoules à sodium. Elles consomment moins d’énergie, sont plus économes et plus durables, de couleur orange et rayonnent moins dans les UV. Elles possèdent donc moins d’effets négatifs sur la biomasse, même si elles restent toutefois des nuisances lumineuses assez gourmandes.

Dans les années 1990, la recherche permet la création de LEDs bleues de forte luminosité, et par extension, la LED blanche. Or ces dernières sont généralement des LED bleues ou émettant dans l’UV, dont une partie de la lumière produite est transformée par fluorescence en lumière jaune au moyen d’un luminophore. Ce qui rend alors ce mode d’éclairage certes plus économiques (c’est celui qui consomme le moins), mais reste menaçant pour notre biomasse. Car non seulement il émet des
UV, mais il engendre également un phénomène humain que nous connaissons bien : « ça coûte moins donc on en met plus », renforçant l’éclairage publique, et venant ainsi perturber d’avantage le vivant.

Notons que la lumière dite « utile » produite par un réverbère (dirigée vers le bas) ne représente pas la majeure partie de la lumière émise, dont 60% est dirigée vers le ciel... Ce phénomène entraîne un important « gaspillage » énergétique (le fameux « halos lumineux » flottant au-dessus des villes), à la fois inefficace et éblouissant. Mais ce n’est pas tout...

LES EFFETS SUR NOTRE SANTÉ

Les éclairages mal étudiés génèrent de la lumière qualifiée d’ « intrusive », qui pénètrent nos maisons et nous empêche de bénéficier d’un noir complet offert par la nuit. Cette irruption lumineuse vient perturber nos sécrétions de mélanine, la fameuse « hormone du sommeil », citée plus haut. Même si ce phénomène est également à placer dans un contexte global (mode de vie assez stressant, problématiques liées à la santé de chacun, ...), il peut potentiellement contribuer à
une sensation de fatigue, une baisse de la vigilance, mais aussi à des dérèglements hormonaux pouvant s’avérer plus graves chez certaines personnes.

DES IDÉES LUMINEUSES

Un moyen simple de lutter contre toutes ces conséquences néfastes est, en dehors du fait d’appuyer sur l’interrupteur, la « rénovation positive ». Il s’agit d’orienter la lumière d’avantage vers le bas plutôt qu’au-dessus de l’horizon, et de réfléchir à une autre gestion de l’éclairage dans nos villes et villages. Notons tout de même qu’en France, depuis le 1er juillet 2018, les commerces ont pour obligation d’éteindre leurs enseignes et publicités commerciales lumineuses entre 1 heure et 6 heures du matin.

Certaines villes se voient dotées de l’éclairage intelligent, soit le « smart lighting », consistant à placer des capteurs sur les luminaires, en capacité de détecter les mouvements dans une rue.
L’intensité lumineuse ne sera donc augmentée que si nécessaire et pour un temps réduit. Cette innovation est d’ores et déjà à l’œuvre dans certains quartiers de grandes villes comme Toulouse. En 2019, à Clermont-Ferrand, environ 17 000 points lumineux sont en télégestion.

Deux biologistes alsaciens à l’origine de la start-up Woodlight engagent un pari remarquable avec des végétaux bioluminescents. L’idée étant que des arbres ou buissons pourraient ainsi prendre la place des réverbères, de balises lumineuses dans des parcs ou le long de routes non éclairées. De son côté, l’entreprise Glowee à Evry met en culture des bactéries pourvues de propriétés bioluminescentes, avant de les placer dans des coques transparentes.

Enfin, Eiffage Route et OliKrom en Gironde testent actuellement une innovation particulière : une peinture routière photoluminescente ; capable de capturer et stocker la lumière du sol (ou celle des phares) pour la restituer la nuit.

Ailleurs que dans l’hexagone, de nombreux exemples de gestion de la pollution lumineuse sont intéressants. En renouvelant la quasi-totalité de son éclairage, la ville de Tucson aux États-Unis peut de nouveau contempler la voie lactée en plein centre-ville. Aux Pays Bas, le gouvernement a interdit la redondance entre enseignes publicitaires allumées et éclairage public.

Ainsi, force est de constater que le terme de « pollution lumineuse » est absolument justifié. Depuis 50 ans, notre mode de vie et ses enjeux commerciaux alimentent une course à l’éclairage. Il est donc important de prendre conscience de cette nuisance et de se mobiliser afin de répondre aux problématiques qu’elle représente. Chercher de nouvelles innovations voire, dans un premier temps,
simplement appliquer les solutions qui s’offrent déjà à nous, permettrait d’esquisser « brillamment » nos villes du futur.

Article rédigée par Samantha LUSSIEZ

Sources
http://www.nuitfrance.fr/
http://bl-evolution.com/pollution-l...
http://www.tortuesmarinesguadeloupe...
https://www.lefigaro.fr/sciences/la...
https://www.lamontagne.fr/clermont-...
https://www.leparisien.fr/environne...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Diode...

Crédits photos :
Alain JUPIN
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